mardi 27 novembre 2012

Décrypter les attitudes... pour désarmer les antipub ?


Parue le 21 novembre, Décrypter les attitudes vis-à-vis de la publicité, l’étude de l’ARPP (avec l’IREP et IPSOS)* se présente comme la première tentative pour comprendre « les attentes sociétales des Français » face au rôle de la publicité. Cet essai courageux en son principe me semble poser plus de questions qu’il n’en résout… Par ailleurs - mais peut-être est-ce la conséquence du point précédent ? - cette étude esquisse surtout une vision trop consensuelle, si ce n’est politiquement correcte, de ces attentes, à l’heure où trois militants « antipub » viennent d’être condamnés pour des actions dans le métro parisien... (ici l’article de Libération)

Même si toute violence reste inacceptable, la « résistance à la pub » marque aussi une attente de responsabilité vis-à-vis du système de la consommation/communication, dont un nombre de plus en plus grand de citoyens est rejeté de fait, victimes des dommages de la crise, qui ne sont pas que collatéraux... (Photo : CC ORRANGE http://flic.kr/p/8uozgE)
« La régulation professionnelle concertée reposant sur un équilibre entre la liberté d’expression des publicitaires et le respect des consommateurs, », l’ARPP avait le souhait de « préciser à quel moment une publicité va déranger, en vue d’enrichir la réflexion quotidienne de ses équipes dans leurs conseils et avis… ».

Voici ces quatre conclusions principales dont je vous laisse découvrir le détail par vous-même, responsables lecteurs :

  1. La publicité n'existe pas, seules existent et ont un sens les publicités,
  2. Il n'existe pas une, mais des attitudes face aux publicités, 
  3. La diversité des opinions vient de la diversité des individus et des campagnes, 
  4. La grille de lecture est la crise de confiance : moi, les autres, la société, les institutions.

Nos attentes de consommateur (d'études Françaises !) sont déçues...


Je n’entrerai pas dans la discussion de chaque conclusion, même si la première mérite de nous y étendre longuement (il est au moins évident que la publicité existe comme sous-genre télévisuel et cinématographique : demandez-le à tous les ados et aux "fans" des réseaux sociaux !)…

Constatons simplement que le dispositif de l’enquête programme la dissolution du concept de publicité, de tous les enjeux sociétaux qui lui sont intimement liés et de ses éventuels effets négatifs, au profit des chatoiements de la diversité « positive » et « utilitariste » de ses incarnations concrètes. Le rédacteur de la synthèse de l’étude le note bien lui-même : « Parler de la publicité en général conduit souvent à un premier jugement négatif mais plus on montre aux gens des publicités diversifiées, avec des contenus différents, drôles, utiles et des supports variés, plus la réponse est nuancée et riche et comporte différents niveaux d’appréciation » (p. 3).

Quant à la seconde conclusion, « il n'existe pas une, mais des attitudes face aux publicités », elle parait à tout le moins minimaliste, comme résultat d’une étude de décryptage des attitudes ; elle mériterait également qu’on décrypte, si ce n’est les raisons cachées, au moins les conséquences implicites de ce minimalisme méthodologique et conceptuel.

Cependant, il reste surtout important de constater que l’ensemble de ces conclusions peuvent conduire à un aveuglement systémique sur la nature des rapports précisément systémiques qu’entretiennent individu, société, communication (incluant la publicité) et bien sûr consommation. Ce dernier terme (dans son sens économique) n’apparaît ainsi qu’une fois dans la synthèse de l’étude et justement pour souligner l’utilitarisme publicitaire décomplexé des « gens » : « certes, les gens aiment bien les beaux films, mais ils apprécient aussi les prospectus qui vont les aider à découvrir des produits nouveaux, à profiter d’une promotion, à choisir… Ils sont dans une logique utilitariste de la publicité dans la consommation. »

La consommation en état de crise, point aveugle des conclusions de l’étude – rassurantes pour la profession publicitaire – est néanmoins entrevue dans l’entretien avec Yves Bardon, directeur de la prospective d’Ipsos, joint à la synthèse. Sous le titre « Tenir compte de systèmes de valeurs qui changent », ce dernier va-t-il corriger la vision a-systémique de l’étude, ne serait-ce qu’à la marge ?

... Et pourtant, il existerait bien un consommateur/citoyen Français ?


Las ! Répondant à la question quasi politique « Que craint le consommateur/citoyen ? », il préfère rester sur le terrain (qui n’est pas la terre ferme) du marketing psychosocial, ou mieux encore, du marketing « borderline psychotique » ! En effet, pour lui, « La situation de la France est unique en son genre, comme si les Trente Glorieuses étaient un âge d’or absolu, et comme si depuis, il n’y avait plus que des crises pétrolières, spéculatives, immobilières, environnementales, etc. Est-ce que ce sont les « Quarante piteuses » ou une mutation profonde ? Aujourd’hui, quatre peurs structurent la société française : l’avenir, la mondialisation, le présent et la solitude ».

Aux réalités systémiques de la crise du capitalisme de consommation, le psychosociologue finit par nous baigner avec lui dans la psychologie des profondeurs, pour mieux opposer le pessimisme français lesté par son mythe de l’âge d’or glorieux, à l’optimisme utilitariste (sans doute anglo-saxon, mais peut-être bientôt asiatique ?) flottant dans un consumérisme amarré aux évolutions du monde "comme-il-va"… mais guère moins mythique :

« L’antidote de la peur à l’égard du présent, c’est l’extraordinaire, l’antiroutine, le merveilleux, le ré-enchantement, l’évasion, l’idée d’une société différente, harmonieuse, fantastique. D’où le succès de Twilight, Avatar, Intouchables… Quant à l’antidote de la peur d’être seul et abandonné, c’est le coaching, à savoir tout ce qui aide, les modes d’emploi de la vie dans tous les domaines : travail, sexe, éducation, santé, plantes, animaux, décoration, cuisine, etc. »

Cessez-le-feu... temporaire !   


Nous n’aurons donc pas discuté des « quatre » conclusions, ni des quatre peurs structurantes, mais nous reviendrons dans une prochaine publication sur le fond de la troisième conclusion (« La diversité des opinions vient de la diversité des individus et des campagnes ») qui nous dévoile tout de même – excusez du peu – les « cinq thèmes qui dérangent les Français ». Suspens !

Allons, ne désarmons pas, Citoyens de la Patrie : formons nos opinions… Y compris contre la publicité française !

* ARPP : Autorité de régulation professionnelle de la publicité – IREP : Institut de recherches et d’études publicitaires